Entretien avec Pierre Bois d’Enghien de Socfin

Pierre Bois d’Enghien est ingénieur agronome des régions tropicales, maître en Sciences de l’Environnement (3ème cycle) et auditeur principal RSPO. Il est actuellement Responsable du Département Développement Durable du groupe Socfin. Il bénéficie de plus de 25 ans d’expérience dans les plantations agro-industrielles de plantes pérennes tropicales.

Le Groupe Socfin est spécialisé dans le développement et la gestion de plantations de palmiers à huile et d’hévéas et est présent dans 8 pays d’Afrique Centrale et de l’Ouest et 2 pays d’Asie du Sud-Est.

Les propos exprimés le sont à titre personnel.

Pour quelles raisons Socfin a-t-elle voulu devenir membre de la RSPO ?

Socfin compte parmi les membres fondateurs de la RSPO. Je ne connais pas de quelle nature étaient les intérêts du Groupe en 2004, probablement rester au fait des évolutions des mentalités et maintenir ses parts de marché. L’intérêt est devenu également financier au cours du temps. Depuis deux ans, l’huile de palme durable est vendue plus cher et nous rapporte quelques millions de dollars en plus chaque année par rapport à l’huile de palme non certifiée.

En outre, la RSPO constitue des lignes directrices pour travailler d’une manière correcte. Sous la pression de Greenpeace, nous avons également adhéré à l’approche « High Carbon Stock »[1]. En combinant les deux, nous bénéficions d’un bon cadre de travail en matière de durabilité.

Pour l’instant, seules nos plantations en Indonésie sont certifiées. A l’origine, la RSPO permettait de ne certifier qu’une partie des plantations. Comme nos activités en Afrique ne sont pas dirigées à l’exportation mais au marché local, il n’y avait pas d’intérêt à les certifier. Avec le changement dans la réglementation de la RSPO, nous avons introduit une demande d’adhésion pour nos activités en Afrique afin de garantir la pérennité de notre certification en Indonésie. La démarche a été retardée, car malgré que les documents nécessaires soient prêts depuis un certain temps, nous avions des activités d’extension de notre production d’huile de palme en cours qui rendaient l’adhésion impossible à moins de les arrêter.

Comment expliquez-vous que malgré que Socfin soit certifiée RSPO, l’entreprise ait été accusée d’accaparement des terres[2] ?

Il s’agit d’un problème de définition de l’accaparement des terres. Si on se réfère à la Déclaration de Tirana[3] de 2011, l’accusation d’accaparement des terres ne peut s’appliquer à nos acquisitions de plantations existantes au Cameroun et au Libéria. L’accaparement pourrait nous être reproché dans le cadre d’extension des terres cultivées, si on ne respecte pas le consentement préalable, libre et éclairé des populations. Mais nous l’avons toujours respecté. C’est pour ces raisons que nous poursuivons actuellement en diffamation des acteurs qui nous ont faussement accusés d’accaparement des terres.

Je ne connais pas avec suffisamment en détails les autres cas de membres de la RSPO qui ont été accusés d’accaparement des terres[4], mais je pense qu’il faut considérer les annonces de prospection de nouvelles plantations de palmiers à huile avec prudence. Lorsque des prospections de par exemple 300’000 hectares sont annoncées, la production réelle ne concerne finalement jamais de si vastes terres, mais plutôt des chiffres raisonnables comme 15’000 hectares.

Selon vous, quelles sont les forces et les faiblesses de la RSPO ?

Comme mentionné, la RSPO constitue un bon cadre de travail qui touche à beaucoup d’aspects relatifs au développement durable. En outre, la certification est reconnue. Lorsque nous sollicitons des prêts pour nos activités d’huile de palme, les banques commencent toujours par nous demander si nous sommes certifiés RSPO.

Les faiblesses, c’est qu’il existe des portes de sortie afin de détourner les obligations. Par exemple, le pesticide Paraquat[5] n’est pas interdit, il faut simplement limiter son utilisation. De même, en application du critère 5.5.1, les petits paysans qui ne possèdent pas d’engin lourd sont autorisés à brûler les forêts. A cause de ces portes de sortie, la RSPO n’est pas suffisante, notamment en termes de déforestation. C’est pour cela que nous avons complété notre certification RSPO par une adhésion à l’approche « High Carbon Stock ».

Pensez-vous que les petits paysans connaissent la RSPO ?

En Afrique ce n’est pas le cas, mais en Indonésie je pense que oui. La RSPO est beaucoup plus développée en Indonésie et en Malaisie où les réunions ont lieu et où il y a plus de petits planteurs. En Afrique, les petits planteurs sont surtout indépendants. Ils ne sont pas assez souvent affiliés à des usines qui pourraient les aider à obtenir la certification. De plus, pour les paysans indépendants africains, la RSPO n’est pas utile puisqu’ils ne vendent que sur le marché local.

Selon vous, comment est-ce que la RSPO devrait évoluer ces cinq prochaines années ?

Je ne sais pas comment elle va évoluer. Quand on participe aux tables rondes, on observe des pressions pour en adoucir les règles. C’est la structure qui veut ça, mais parfois c’est gênant. Les finalités ne sont jamais enthousiasmantes. Certaines choses compliquées à mettre en œuvre sont imposées, et pour nous cela devient très lourd. Les rapports des auditeurs HCV sont mauvais car ils sont surchargés de travail et bâclent leurs missions. Les ONG ont imposé un nombre d’éléments parce que certains opérateurs privés sont de mauvaise foi. Toutefois, certains critères sont inadaptés aux contextes locaux.

Qu’est-ce que les actionnaires de Socfin pensent de la RSPO ?

Ils sont satisfaits de voir les bénéfices additionnels liés à la RSPO. De manière générale, ils approuvent fortement les initiatives relatives au développement durable. C’est un mélange entre éthique et motivations financières.

[1] Pour en savoir plus sur l’approche « High Carbon Stock » : http://highcarbonstock.org/

[2] Pour connaître ces accusations, voir :https://www.grain.org/article/entries/5492-the-global-farmland-grab-in-2016-how-big-how-bad
https://www.farmlandgrab.org/cat/show/700

[3] La déclaration de Tirana publiée par l’International Land Coalition (ILC) en 2011 définit l’accaparement des terres de la façon suivante: “(i) in violation of human rights, particularly the equal rights of women; (ii) not based on free, prior and informed consent of the affected land-users; (iii) not based on a thorough assessment, or are in disregard of social, economic and environmental impacts, including the way they are gendered; (iv) not based on transparent contracts that specify clear and binding commitments about activities, employment and benefits sharing, and; (v) not based on effective democratic planning, independent oversight and meaningful participation”.

[4] Voir par exemple les cas de Poligrow et Cargill, membres de la RSPO accusée d’accaparement des terres en Colombie, ainsi que  https://www.somo.nl/reconquering-and-dispossession-in-the-altillanura/, https://www.oxfamamerica.org/static/media/files/rr-divide-and-purchase-land-concentration-colombia-211013-en.pdf

[5] Pour en savoir plus sur le Paraquat, voir :
https://www.publiceye.ch/fr/themes-et-contexte/agriculture-et-biodiversite/pesticides/paraquat/