Entretien avec Bastien Sachet, directeur de Forest Trust (TFT)

Bastien Sachet est le directeur du Forest Trust (TFT), une ONG qui aide les entreprises à innover en matière de chaîne de valeur responsable pour les produits tels que l’huile de palme, le bois, le cacao, les pâtes et papier ainsi que le soja.

Quelle relation le TFT entretient-il avec la RSPO ?

Nous avons mis un terme à notre adhésion en 2012 car la plateforme a du mal à évoluer. Les principes et les critères doivent être le fruit d’un consensus et la menace que les entreprises quittent la RSPO génère systématiquement un nivellement par le bas. Nous estimons donc être mieux à même de l’influencer depuis l’extérieur qu’à l’intérieur.

Pour nous, il manque surtout une partie concernant la déforestation. En sortant de la RSPO, nous avons développé une méthodologie appelée « High Carbon Stock Approach » qui protège les forêts secondaires (forêts touchées par l’homme) dans la mesure où elles ne sont pas trop dégradées. Avec la RSPO, toutes les forêts secondaires peuvent potentiellement être utilisées pour la production d’huile de palme, alors qu’elles représentent la plupart de la surface restante. Ainsi, en 2010, Nestlé, bien que membre de la RSPO, a été la cible de Greenpeace pour avoir fabriqué ses barres Kit Kat à partir d’huile de palme achetée à la compagnie indonésienne Sinar Mas, dont les productions détruisent les forêts tropicales du pays.

Actuellement, des discussions ont lieu au sein de la RSPO afin d’intégrer la méthodologie « High Carbon Stock Approach » dans les critères et principes de certification. Nous espérons que cela va aboutir, car il n’est pas cohérent de se revendiquer « durable » si la question de la déforestation n’est pas traitée de manière adéquate.

Selon vous, quelles sont les forces et les faiblesses de la RSPO ?

Fondamentalement, nous ne croyons pas aux certifications. La plupart des plantations certifiées sont malaysiennes et établies de longue date, c’est-à-dire qu’elles sont déjà plus ou moins bien gérées. Les nouvelles plantations qui posent problème ne sont pas certifiées. En outre, le processus sous-entend que les marchés adoptent la RSPO de manière volontaire, alors que personne n’a envie de payer un prix additionnel pour du durable. Par conséquent, les entreprises qui agissent mal ne se dirigent jamais vers la certification.

Certaines entreprises certifiées par la RSPO ont effectivement été soumises à des campagnes dénonçant leurs activités contrevenant aux critères et aux principes du label. Toutefois, ce sont les campagnes d’ONGs et la menace de perdre des clients qui les font bouger. Pour nous, les certifications sont un business qui n’amène pas de changement sur le terrain. Oui, se réunir pour discuter autour d’une table c’est bien, mais le reste nous n’y croyons plus. Les gens ne veulent plus du marketing, mais de la sincérité.

Lors de votre travail sur le terrain, quelle connaissance de la RSPO par les petits paysans avez-vous observé ?

Les paysans sur le terrain n’ont aucune idée de ce qu’est la RSPO. Les petits producteurs avec qui nous travaillons en Côte d’Ivoire, en Malaisie et en Indonésie, ne savent même pas ou vont leur récolte. On leur a montré qu’elle était livrée dans des « mills » (usines de transformation) pour être utilisée dans des produits Nestlé. Mais pour les petits paysans, la RSPO reste complètement abstraite. Elle ne produit pas de valeur pour eux, est difficile à comprendre et bureaucratique, et représente un coût inabordable. D’ailleurs, ces paysans qui sont sous contrat ne produisent pas de certifié sur leur propre plantation. Dans les faits, le « mill » transforme du certifié venant de l’agro-industrie pour les pays d’Europe d’une part, et d’autre part du non-certifié restant en Malaisie.

Est-ce que la RSPO améliore les conditions de vie des petits paysans ?

La RSPO n’améliore pas les conditions de vie des petits paysans. Oui, il y a du positif dans la formalisation des procédures et le respect des lois, mais ce ne sont pas ces problématiques qui peuvent substantiellement améliorer la vie des planteurs.

Selon vous, comment est-ce que la RSPO devrait évoluer ces cinq prochaines années ?

Il faut qu’elle arrête d’octroyer des labels et qu’elle devienne simplement une manière de contrôler, une méthode d’évaluation d’un niveau de performance environnemental. Il faut un cahier des charges de garantie, mais cela ne doit pas figurer sur les emballages. En outre, une diminution de la bureaucratie est nécessaire.

Ressources:
Beyond Certification
Global breakthrough for protecting forests
High Carbon Stock Approach