Le phénomène des travailleuses pauvres° est déconcertant. Comment est-il possible qu’une personne puisse être pauvre alors qu’elle travaille?
Une telle idée peut en effet paraître paradoxale, sachant que le travail est généralement perçu comme le garant d’une vie décente. Il s’agit néanmoins d’une réalité : aujourd’hui, de nombreuses personnes sont pauvres, alors qu’elles exercent une activité lucrative. Elles ne bénéficient pas du droit à un niveau de vie suffisant et elles n’ont pas la possibilité de pleinement participer à la vie sociale comme le reste de la population. En 2014, le nombre de travailleurs pauvres (ou « working poor ») s’élevait en Suisse à 123’000 personnes, soit 3,3% de la population active.
La notion de travailleuses pauvres est apparue aux Etats-Unis dans les années soixante, mais on peut affirmer qu’il s’agit aujourd’hui d’un phénomène d’une ampleur mondiale qui ne semble pas près de disparaître si l’on considère la globalisation, la compétition et les dérégulations qui règnent sur le marché du travail.
En Suisse, dans les années nonante, certaines études ont mis en lumière le fait que le travail ne constituait pas un rempart efficace contre la pauvreté et ont entrepris l’examen du problème de la pauvreté laborieuse. « Working poor in der Schweiz – Wege aus der Sozialhilfe », une recherche menée par Stefan Kutzner, Ueli Mäder et Carlo Knöpfel, a ainsi décrit la situation des travailleuses pauvres comme un phénomène social lié à la situation sur le marché du travail ainsi que dans la sphère socio-politique.
En 2010, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU (CDESC) a adressé des recommandations à la Suisse lui demandant de se pencher sur la situation des travailleurs pauvres et de prendre des mesures pour leur venir en aide.
L’étude « Working Poor in Switzerland (A Legal Analysis of the Situation since 2010) » de Laura Kanoff, réalisée dans le cadre de la Human Rights Clinic de l’Université de Bâle pour le compte de la section suisse de FIAN International, s’intéresse aux mesures retenues depuis 2010 par la Confédération pour soutenir les travailleuses pauvres ainsi qu’à celles qui pourraient encore être adoptées. Elle aborde ce phénomène sous l’angle des droits humains en analysant quels droits fondamentaux des travailleuses pauvres ne sont pas respectés. Ce type d’approche permet de constater la complexité des facteurs qui mènent à cette situation mais aussi que de nombreuses actions peuvent être réalisées dans divers domaines afin d’y mettre un terme et ainsi de garantir les droits des travailleuses pauvres.
La recherche a été conduite sur la base de données statistiques provenant de l’Office Fédéral de la statistique, de documents normatifs, de commentaires du CDESC et de l’Organisation Internationale du Travail ; elle s’inspire aussi d’ouvrages et d’avis d’experts dans le domaine.
Les conclusions de cette recherche indiquent que, malgré certaines mesures mises en place par la Confédération pour répondre au problème de la pauvreté en général, il reste de multiples actions à entreprendre pour venir en aide aux travailleuses pauvres en Suisse, en ce qui concerne le marché du travail, mais aussi la fiscalité, la sécurité sociale, le logement, l’éducation, la santé et la famille.
Étude « Working Poor in Switzerland (A Legal Analysis of the Situation since 2010) »
°Dans ce texte, le féminin inclut le masculin et est utilisé, sans discrimination, afin d’alléger le texte.