Spéculation Alimentaire

Introduction
Actualités
Les devoirs de l’Etat relatifs aux droits humains
Les devoirs relatifs aux droits humains dans l’économie
Que puis-je faire ? Devoirs et possibilités des individus
Dialogue avec la Banque cantonale zurichoise ZKB
Dialogue avec AXA Assurances

Manifestations de FIAN sur le thème de la spéculation sur les denrées alimentaires

Introduction

Depuis une dizaine d’années, les banques, assurances et caisses de pension du monde entier ont investi plusieurs centaines de milliards de dollars dans les bourses de matières premières, dont une part déterminante concerne des matières premières agricoles et des denrées alimentaires. Comme le démontrent de nombreuses études, la spéculation sur ces biens par des futures sur les marchés à terme correspondants a des effets désastreux. L’abus des marchés à terme à des fins spéculatives crée de l’inflation et fait monter les prix de denrées alimentaires de base et fait fluctuer les prix de manière plus fréquente et plus ample. Les personnes touchant le minimum vital ne peuvent plus acheter suffisamment d’aliments et les personnes déjà sous-alimentées ont encore moins accès aux denrées alimentaires. Les crises alimentaires apparues en 2007/08 et 2010/11 suite à l’hyperinflation de produits alimentaires de base ont précipité plusieurs dizaines de millions de personnes dans la pauvreté, la faim et la sous-alimentation en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique. Jusqu’à présent, l’augmentation des prix des aliments fait que les personnes concernées restent prisonnières d’une situation de pauvreté et de sous-alimentation.
Cela constitue une violation massive du droit humain à l’alimentation, consacré notamment par la Déclaration universelle des droits de l’Homme et par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, que la Suisse a également signés.
Avec d’autres organisations, FIAN Suisse combat cette violation d’un droit humain.

Informations complémentaires :

Présentation en allemand « Spéculation alimentaire et droit à l’alimentation » de FIAN Suisse (2013, 12 diapositives Powerpoint)

Note d’information n° 2 « Spéculation agricole et flambée des prix alimentaires » (2010, 14 p.) du Ex-Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation

Etude « La spéculation sur les denrées alimentaires – (pas de) problème? » (2014, 32 p.) d’Alliance Sud

Méta-étude « Finanzspekulation und Nahrungsmittelpreise: Anmerkungen zum Stand der Forschung » (2013, 68 p.) du Professeur Dr Hans-Heinrich Bass, Hochschule Bremen

Recherche « Investissements des banques suisses en matières premières agricoles » (2013, 17 p.) de Pain pour le prochain et Action de Carême

Fiche d’information spéculation sur les denrées alimentaires (2013, 4 p.) de Pain pour le prochain et Action de Carême

Repères « La spéculation alimentaire fait exploser les prix » (2013, 36 p.) de Pain pour le prochain et Action de Carême

Vidéo de Pain pour le prochain et Action de Carême : « Stop à la spéculation »

Dossier « Spéculation alimentaire : comment les banques, caisses de pensions et fonds spéculatifs se rendent complices de la faim dans le monde » (15 p.) de Solidar Suisse

Bibliographie «Evidence on the Negative Impact of Commodity Speculation by Academics, Analysts and Public Institutions» (régulièrement mise à jour, 8 p.) de WEED

Actualités

18 février 2015: Le Conseil fédéral contre le frein à la spéculation, communiqué Alliance Sud                 4 septembre 2015 : Nahrungsmittelspekulation: Möglichkeit zur Begrenzung in neuen Finanzmarktinfrastrukturgesetz
7 août 2015 : AHV/IV/EO-Fonds beendet Nahrungsmittelspekulation
28 mai 2015 : Der Bundesrat will die Nahrungsmittelspekulation begrenzen können
20 février 2015 : Menschenrechtlich bedenklich: Bundesrat duldet Nahrungsmittelspekulation

Les devoirs de l’Etat relatifs aux droits humains

Les traités relatifs aux droits humains imposent trois types d’obligations aux Etats :
Obligation de respecter : compatibilité de l’action publique avec les droits humains
Obligation de protéger : protection contre des violations de droits humains commises par des tiers
Obligation de concrétiser : mise en œuvre active de droits humains
Ces obligations doivent être remplies au niveau communal, cantonal et national ainsi que par l’exécutif comme par le législatif. Les obligations sont aussi valables vis-à-vis de sujets de droits à l’étranger, comme le prévoient les « Principes de Maastricht sur les obligations extraterritoriales des Etats dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels ».
Concernant la spéculation alimentaire, cela signifie que :
• Obligation de respecter : pas de participation de l’Etat à de la spéculation alimentaire via des placements financiers (de collectivités, caisses de pensions publiques, d’entreprises publiques, …) et via les banques cantonales
• Obligation de protéger : protection de la population dans les pays du Sud contre les hausses de prix dues à la spéculation au moyen de régulations/interdictions
Sont liés par cette obligation les conseils municipaux, les gouvernements communaux et cantonaux, les parlements communaux et cantonaux, le Conseil fédéral, le Parlement fédéral et les offices fédéraux.

Les devoirs relatifs aux droits humains dans l’économie

Dans la conception classique, seuls les Etats sont sujets d’obligations et dès lors, liés par des devoirs juridiquement contraignants. Un changement se dessine toutefois : de plus en plus, la doctrine du droit international attribue également, de manière non contraignante, des droits et des devoirs aux individus et aux entreprises.
La Déclaration universelle des droits de l’Homme déclare déjà, dans son préambule : « afin que tous les individus et tous les organes de la société […] s’efforcent […] de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer […] la reconnaissance et l’application […] », où les entreprises font aussi partie des « organes de la société ».
De manière similaire, le Pacte économique et social indique en préambule : « … que l’individu a des devoirs envers autrui et envers la collectivité […] et est tenu de s’efforcer de promouvoir et de respecter les droits reconnus dans le présent Pacte … »

L’Observation générale n° 12 sur le Pacte économique et social déclare d’ailleurs expressément : « […] tous les membres de la société – individus, familles, […] et secteur privé – ont des responsabilités dans la réalisation du droit à une nourriture suffisante ».
Et les Principes directeurs UN relatifs aux entreprises et aux Droits de l’Homme (Ruggie), récemment adoptés, déclarent, à la section « II. Responsabilité incombant aux entreprises de respecter les droits de l’homme : « 11. Les entreprises devraient respecter les Droits de l’Homme. Cela signifie qu’elles devraient éviter de porter atteinte aux Droits de l’Homme d’autrui et remédier aux incidences négatives sur les droits de l’homme dans lesquelles elles ont une part. »
Par conséquent la conclusion indique actuellement que les entreprises n’ont (encore) aucune obligation juridiquement contraignante, mais une responsabilité, définie en de multiples endroits, de respecter les droits humains.

Concernant la spéculation alimentaire, cela signifie que :
• Les banques et bailleurs de fonds doivent retirer les biens agricoles de leurs formes de placement et ne doivent plus offrir de formes de placement/instruments financiers en rapport avec des biens agricoles.
• Les assurances, y compris les caisses de pension, doivent retirer leurs capitaux de placements qui spéculent sur des matières premières agricoles et ne doivent plus y investir.

Que puis-je faire ? Devoirs et possibilités des individus

A l’instar des entreprises, les individus n’ont pas d’obligation juridiquement contraignante mais sont explicitement responsables de respecter les droits humains.
Concernant la spéculation alimentaire, cela signifie que nous sommes tenus :
• de demander à nos banques si elles spéculent sur des matières premières agricoles avec notre argent
• de demander à nos assurances (y compris les caisses de pensions et institutions de prévoyance) si elles investissent dans des marchés de matières premières agricoles avec nos primes
• d’exiger des banques et des assurances qu’elles se retirent de ces marchés
• le cas échéant, de changer de banque et d’assurance.

Dialogue avec la Banque cantonale zurichoise à propos de la spéculation alimentaire

FIAN Suisse s’étonne du fait que la Banque cantonale zurichoise, malgré sa politique en faveur du développement durable, spécule sur des matières premières, au moyen du ZKB Rohstoff Fonds. Sur un total de CHF 142,4 mio d’avoirs gérés (en juin 2013), CHF 47 mio concernent des matières premières agricoles, dont CHF 24,2 mio des céréales, soit des aliments de base. Selon la fiche d’information le fonds contient notamment, au 31 août 2013, du blé, du maïs, du soja, du sucre, des bovins d’engraissement, d’autres bovins et des porcs maigres.
La spéculation sur les marchés à terme fait monter les prix des aliments de base et les maintient à un niveau élevé. Des millions de personnes ne peuvent dès lors plus se nourrir et souffrent de la faim. Ceci constitue une violation massive du droit à l’alimentation.
Est-il possible que la ZKB ne fût pas consciente du lien entre la part de matières agricoles dans le ZKB Rohstoff Fonds et les augmentations ou les prix excessifs des aliments de base ?

Première lettre à la ZKB du 24 septembre 2013 :
FIAN Suisse exhorte la ZKB, dans une lettre ouverte à Martin Scholl, président de la direction générale, à s’exprimer sur cet état de fait et en particulier à exclure les marchandises agricoles (y compris le bétail) de ses fonds et de consigner cette exclusion dans une décision de principe contraignante.
Dans sa réponse du 2 octobre 2013
, la ZKB se justifie en pointant le lien controversé entre les placements dans des matières premières agricoles et l’augmentation/volatilité des prix, l’apport positif des marchés à terme à l’approvisionnement en aliments, les intérêts des investisseurs et en particulier le fait que le ZKB Rohstoff Fonds serait un fonds diversifié qui ne servirait pas à spéculer directement et de manière ciblée sur des matières premières alimentaires.
Réponse de la ZKB du 2 octobre 2013 (allemand)

FIAN Suisse a analysé la réponse de la ZKB du 2 octobre et a répondu par une deuxième lettre.

A propos des arguments de la ZKB par lesquels elle tente de justifier ses placements dans des matières premières agricoles, nous déclarons ce qui suit :

• conformément au principe de précaution, qui est un principe directeur par ex. dans l’Union européenne, des mesures doivent être prises à la source (c’est-à-dire au niveau de la spéculation sur des matières premières alimentaires) même si le lien vraisemblable entre la cause et les dommages (c’est-à-dire les hausses de prix) n’est pas encore clairement prouvé.
• Les marchés à terme n’ont pas besoin des capitaux spéculatifs de l’industrie financière.
Les droits humains ont toujours la priorité sur les intérêts économiques.
• Le fait qu’un capital circule sur les marchés de matières premières agricoles via de nombreux fonds diversifiés ou un petit nombre de fonds spécifiques de matières agricoles ne joue aucun rôle.
La réponse de la ZKB n’a pas altéré notre refus de la spéculation sur les matières premières agricoles via le ZKB Rohstoff Fonds. Nous maintenons dès lors notre requête à la ZKB visant à exclure les marchandises agricoles (y compris le bétail) de ses fonds et de consigner cette exclusion d’investir dans des matières premières agricoles et des vivres dans une décision de principe contraignante.
Nous attendons dès lors de la ZKB une décision claire, inéquivoque et courageuse. D’autres banques ont déjà montré l’exemple. Pour le reste, nous-mêmes et d’autres organisations ont également la possibilité d’agir sur le plan politique afin de pousser la ZKB à faire ce pas.

Deuxième lettre à la ZKB du 29 octobre 2013 :

La réponse de la ZKB du 2 décembre 2013 est décevante : la ZKB émet des prescriptions qui «limitent les possibilité des investisseurs d’investir de matière ciblée et non contrôlée dans des matières premières agricoles particulières». Il ne s’agit toutefois pas de véritables limitations quant à la possibilité d’investir dans des matières premières alimentaires, comme nous l’exposons dans notre troisième lettre du 20 décembre 2013.

La ZKB estime « qu’il n’y a pas de spéculation sur des matières premières alimentaires via des produits d’investissement diversifiés », dont le Rohstoff Fonds fait partie. Nous renvoyons en revanche à la méta-étude récemment parue « Finanzspekulation und Nahrungsmittelpreise: Anmerkungen zum Stand der Forschung » du Prof. Dr. Hans-Heinrich Bass, de la faculté de sciences économiques de la Haute Ecole de Brême. L’étude conclut notamment qu’« il existe des résultats de recherches complémentaires suggérant un lien entre spéculation excessive, probablement aussi la spéculation orientée sur un indice, et les pics de prix des années 2008 et 2011 » (p. 14).
A propos de l’hypothèse ci-dessus, la ZKB écrit : « la Banque cantonale zurichoise maintient toutefois les produits basés sur des indices ou paniers largement diversifiés de matières premières, qui servent en premier lieu les besoins des investisseurs ».
Nous considérons comme insupportable sur le plan humain et comme illégal sur celui des droits humains que la banque d’Etat ZKB participe au commerce de matières premières agricoles.
Nous soulignons expressément le fait que les Etats et leurs organes sont tenus par les traités et normes internationaux sur les droits humains de respecter ces derniers même hors de leur territoire. En tant qu’institution de l’Etat de Zurich, la ZKB est également soumise à cette obligation en matière de droits humains, dans le cas présent le respect du droit à l’alimentation dans les pays du Sud.
Etant donné que la ZKB ne s’est pas encore montrée disposée à renoncer totalement aux placements dans des matières premières agricoles, nous allons maintenant nous atteler activement à déterminer les possibilités politiques d’amener la ZKB à faire ce pas.

Deuxième réponse de la ZKB du 2 décembre 2013

Troisième lettre à la ZKB du 20 décembre 2013

Dialogue avec AXA Assurances à propos de la spéculation alimentaire

Avec leurs énormes placements, les caisses de pension pourraient être impliquées de manière conséquente dans la spéculation sur les matières premières agricoles et les aliments. Tous les Suisses et Suissesses en âge de travailler sont obligés d’y contribuer.
FIAN Suisse a dès lors demandé à AXA Vie SA, dans sa lettre du 24 septembre 2013, si les primes versées à AXA Fondation Prévoyance professionnelle sont investies dans des fonds ou d’autres produits financiers basés sur des matières premières agricoles et/ou des aliments et si oui, quels produits. En outre, nous avons demandé une liste détaillée de tous les fonds ou produits financiers détenus par AXA Fondation.

Lettre à AXA du 24 septembre 2013

Dans sa lettre du 28 novembre 2013, AXA confirme qu’elle « n’a pas procédé à des investissements dans des matières premières agricoles et produits alimentaires en Suisse ». Nous avons dès lors demandé le 20 décembre 2013, si AXA s’était toutefois adonnée à de tels investissements à l’étranger.
AXA confirme qu’elle ne recourt pas à une stratégie de placements prévoyant de tels produits. Du point de vue des droits humains, nous nous réjouissons beaucoup de cet état de fait. Afin de garantir cette politique, nous conseillons toutefois de ne pas se contenter de ne pas prévoir d’investissements dans des matières premières agricoles mais de les exclure explicitement dans les stratégies de placements et documents fondamentaux correspondants.
Nous saluons aussi le fait que le groupe AXA et ses deux entreprises internes de gestion de fortune aient signé les « Principes pour l’investissement responsable de l’ONU ». En ce sens, nous espérons un respect au niveau mondial de ces principes relativement aux matières premières alimentaires.

Réponse d’AXA du 28 novembre 2013
Demande de FIAN Suisse du 20 décembre 2013

De manière réjouissante, AXA a confirmé dans sa lettre du 27 février 2014, « que tant les fondations collectives de prévoyance professionnelle, que les placements des autres domaines d’activité d’AXA Winterthur en Suisse n’investissent en aucun cas des primes de prévoyance dans des matières premières agricoles ou des aliments – que ce soit en Suisse ou à l’étranger. »

De manière générale, le groupe AXA dispose au niveau mondial d’une « Policy on derivative investments in food (“soft”) commodities » qui prohibe l’investissement dans de tels produits. De nombreuses autres grandes entreprises pourraient prendre cette politique claire et respectueuse des droits humains comme modèle – par ex. les banques suisses, qui ne sont encore guère prêtes à renoncer à ce domaine commercial controversé malgré des dégâts d’image prévisibles.
Réponse d’AXA du 27 février 2014

Policy on derivative investments in food (“soft”) commodities

Evénements de FIAN sur le thème de la spéculation alimentaire

En 2013, FIAN Suisse a organisé deux manifestations sur le thème de la spéculation agricole et alimentaire, en collaboration avec Pain pour le prochain et avec le soutien d’Action de Carême :
– le 14 octobre à Genève « Spéculation alimentaire : Que font ma banque et mon assurance ? » à Uni Mail. Sont intervenus Yvan Maillard Ardenti (Pain pour le prochain), Christian Sutter (Assurethic), Léa Winter (FIAN International) et Leon Volet (Collectif contre la spéculation sur les matières premières). Cette manifestation reçut également le soutien de la Fédération genevoise de coopération FGC.
– le 5 novembre à Zurich « Spéculation alimentaire : que font ma banque et mon assurance ? » au Volkshaus. Sont intervenus Michael Nanz (FIAN Suisse), Yvan Maillard Ardenti (Pain pour le prochain) et Ruedi Ursenbacher (Fairsicherungsberatung).